3) Quels peuvent être les apprentissages spécifiques permis par la pratique de la radio à l'école? ( écoute et/ou production d'émission, forum téléphonique)

a) apprendre à communiquer.

Comme le précise l'enseignant dans l'entretien 6, la situation de communication est singulière: - Lors de la réalisation des émissions, le récepteur est absent, le public auditeur est large mais non défini, on ne sait "qui" écoutera l'émission, de plus le message est différé. Il s'agit donc, si l'enfant peut prendre conscience de ces caractéristiques, d'apprendre à communiquer dans une situation particulière, donc d'adapter son code de langage. Si l'enfant parvient à adapter son message au récepteur, c'est qu'il a pu intégrer une représentation du schéma de la communication.

- Lors de l'écoute, on apprend à écouter autrement dans la mesure où le locuteur est physiquement absent. Dans l'entretien 5, les enseignantes insistent sur cette écoute différente. On apprend à écouter d'autres enfants, à attendre d'eux d'apprendre quelque chose. En effet, lors des petits entretiens que j'ai eu avec les enfants, quand je leur ai demandé ce que la radio leur apportait, les enfants de CP comme de CM m'ont répondu qu'ils "apprenaient plein de choses". Il me semble que la ritualisation de l'écoute est importante pour que l'enfant se constitue une attente par rapport à ces émissions, dans ce que cela peut lui apporter et dans son comportement d'auditeur. J'ai, en effet, pu remarquer que les premières écoutes étaient peu attentives, vite dissipées et sans suite. Peu à peu, les enfants se "mettent à écouter".

b) apprendre "l'autre".

Dans les entretiens 3, 4, 5 et 6, les enseignants insistent sur l'importance de l'entrée dans la classe de travaux d'autres enfants. Il s'agit pour les enfants de prendre conscience d'abord des autres classes, puis de ce que ces autres enfants font dans leur classe. Cette écoute me semble un support "concret" de l'ouverture sur les autres. Elle peut constituer un déclencheur de représentations sur ce qui se fait à l'école, sur la diversité des approches d'un sujet, sur la différence. Je pense plus particulièrement à une émission dans laquelle les enfants d'un quartier dit "sensible" se sont présentés, ils ont expliqué ce qu'ils faisaient en classe, ce qui se passait dans leur quartier, qui ils étaient. Le débat dans les classes a été très animé, les enfants se sont exprimés longuement sur ce qu'ils avaient découvert. Une autre émission construite sous forme de reportage dans l'école expliquait les différents projets que les enfants menaient. A la fin, un des "reporters" lançait " Et vous, avez- vous des projets dans votre classe" et un des enfants de la classe où je me trouvait a réagi très spontanément, oubliant presque le contexte dans lequel il se trouvait pour répondre " mais, on a en, bien sûr!". Les émissions qui développent un sujet qui a été abordé dans la classe sont aussi l'occasion d'un débat sur ce qui se fait dans les autres classes, sur la façon de traiter un thème. De plus, l'enfant apprend à porter un regard sur ce qui se passe dans sa classe, à se mettre dans une situation de recul, d'observateur de ce qu'il vit au quotidien dans la classe.

c) Apprendre à "parler".

Quand les enfants écoutent les émissions puis en produisent, ils sont capables de dire ce qui est pour eux est "bien" ou non. Dans l'entretien 3, l'enseignante précise que les enfants n'hésitent pas à reprendre leurs camarades pour qu'ils reformulent une phrase. Lors des entretiens avec les enfants, j'ai posé la question "qu'est ce bien parler?". J'ai été surprise par l'aplomb avec lequel ils me répondaient, expliquant qu'il ne fallait pas accrocher les mots, bien articuler, ne pas parler trop vite, dire des choses juste... cette situation leur permet ainsi de se constituer des critères qui les guident lors de leur propre production. Il y a un enjeu particulier à "bien parler" car on donne une image de ce que l'on fait, ce que l'on est selon les sujets des émissions. Dans l'écoute et la production, il y a une réciprocité dans la composition des critères de la qualité de l'expression orale: en écoutant les émissions, peu à peu, ils se mettent à repérer les émissions qui leur plaisent, pourquoi elles leur plaisent, à remarquer ce qui les intéresse, ce qui les fait "rebondir". Cela leur permet ensuite de se servir de ces constats pour à leur tour appliquer les différentes consignes que les enseignants vont leur donner. J'ai été amusée par l'insistance de tous les enfants interrogés pour dire qu'il ne fallait pas parler ni trop près ni trop loin du micro, qu'il ne fallait pas toucher le micro ni le fil.... Les conseils techniques ont été très pris au sérieux. Il y a aussi le fait qu'ils peuvent mesurer la qualité de leur propre production en réécoutant. Plus généralement, l'enregistrement permet le travail de ces critères sur le langage oral. Avec l'émission, il y a en plus la mise en scène sonore qui revêt une autre dimension dans l'appréciation de la qualité du message oral. J'ai pu constater que les enfants étaient capables de repérer et de dire que la musique était trop forte, qu'elle n'était pas adaptée au sujet, qu'elle ne leur plaisait pas, que les morceaux de musicaux étaient trop long ou pas assez. Il a alors été possible de définir ce qui était "objectif", ( lié vraiment à la "technique") de ce qui était subjectif, lié à la sensibilité de chacun en confrontant les différents points de vue des enfants de la classe.

- Apprendre à "dire". Pour réussir à capter l'attention des auditeurs juste par la voix,il est nécessaire de réfléchir sur les possibilités offertes grâce à un travail sur la voix. A nouveau par l'aller - retour entre écoute et production, on peut faire prendre conscience aux enfants de cette dimension importante de l'émission: comment l'émetteur peut jouer sur l'attention de son auditoire grâce aux modulations qu'il parvient à prendre. Je citerai en exemple une émission que j'ai écoutée avec des enfants de Grande Section de maternelle. Il s'agissait d'une histoire racontée par des enfants de Cours Elémentaire. Le sujet s'y prêtait particulièrement bien, et les petits conteurs avaient vraiment bien utilisé les intonations, avaient spécialement "joué" oralement le texte. Les auditeurs ont été captés d'emblée, et ont réclamé plusieurs fois à réentendre cette histoire. Je leur ai demandé ce qui avait bien pu tant leur plaire : " c'est bien raconté, ils parlent bien". Ils avaient saisi la particularité de cette émission, saisi ce qui leur rendait l'écoute agréable.

- Apprendre et rapport au savoir. Les enfants me disant clairement qu'ils apprenaient "des tas de choses" en écoutant les émissions, je me suis demandé si cette activité ne constituait pas un rapport au savoir un peu particulier. L'enfant apprend auprès d'autres enfants, même si, bien sûr, il y a un autre enseignant derrière les enfants "producteurs". C'est l'enfant qui est diffuseur d'une information, d'une recherche, d'une histoire... d'un message, mis en valeur, comme je l'ai récemment expliqué. C'est une façon de montrer à l'enfant qu'il sait quelque chose et qu'alors il peut à son tour le restituer. Il est dans une posture singulière par rapport au savoir. Il n'est plus apprenant ( il doit ,tout du moins en partie, maîtriser ce qu'il a à dire), il n'est pas en situation de restitution de ce qu'il a appris pour que l'enseignant, vérifie ce qu'il a retenu... c'est encore une autre étape où on demande à l'enfant de se servir de ce qu'il a appris pour le transmettre. Ce travail correspond plus à un "travail pour de vrai" qu'à une situation purement pédagogique.

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