1) Raisons, motivations pour lesquelles des enseignants ont choisi de mener ce type d'activité.

En fonction des enseignants interrogés, plusieurs aspects sont mis en relief.

a) la dimension sociale.

"Pour qu'ils (les enfants) se rendent compte qu'il y a d'autres enfants, d'autres classes, qui travaillent sur des sujets différents, ou qui travaillent sur les mêmes sujets qu'eux mais différemment". (entretien 3) Ce qui est important pour l'enseignante, c'est la prise de conscience rendue possible par l'écoute des émissions: " j'appartiens à une classe, une école, un réseau d'école". et c'est une ouverture sur l'extérieur. (entretien 2) L'enseignant relève ici ce qui a rapport à l'extérieur de la classe et qui grâce à la radio est rendu accessible. On peut aussi s'interroger sur ce que les émissions, dans leur contenu cette fois peuvent apporter aux enfants. Les enseignants parlent donc d'ouverture sur l'extérieur. En effet, c'est une occasion de découvrir d'autres avis, d'autres sujets de recherche qui ont intéressés d'autres classes, d'autres approches d'un même sujet, des différences de s'exprimer, de concevoir l'émission. C'est une forme de reconnaissance de l'autre dans sa différence et sa richesse, mais aussi une source de document, d'information, de sujet de débat, de recherche. On peut développer à la fois les capacités cognitives et la dimension plus personnelle et affective: on va de la compréhension, la réflexion, la synthèse, à la possibilité d'exprimer ses opinions, ses sentiments, et d'utiliser ses compétences intellectuelles pour défendre ce qui nous distingue des autres tout en acceptant l'autre. Il y a aussi ce que l'écoute, comme la production, permet au sein de la classe comme relations sociales entre les élèves. "On doit s'écouter, parler chacun son tour, ne pas faire trop de bruit quand on enregistre" (entretien 3) La socialisation permise par la radio est clairement mentionnée dans les intentions des enseignants. Est donc mis en avant par les enseignants ce qu'ils peuvent développer comme civisme grâce à la radio autour du respect de la parole, de l'écoute de l'autre. De plus, la prise de conscience d'appartenance à une société plus grande que la classe, la reconnaissance globale du travail des autres enfants, semble un aspect particulier et intéressant de cette pratique. Il est important devant l'abondance des technologies nouvelles où la communication virtuelle est possible de " mettre en place des conditions de paroles qui autorise le sujet à exister" comme le dit Francis Imbert dans Vivre ensemble, un enjeu pour l'école (ESF ). Les lieux de parole sont à la fois facteurs de socialisation mais aussi d'épanouissement et de reconnaissance de l'autre. Conserver la parole, repartir de la parole pour aller plus loin est une autre forme de reconnaissance, de respect du travail de l'enfant, de "soutenir l'inscription de l'enfant dans un réseau d'échanges et de partage" (op. cit.).

La parole peut devenir échange, avec les autres enfants de la classe et avec d'autres, grâce à la diffusion radiophonique. Il est intéressant au regard de la socialisation mise en jeu dans les lieux de parole de considérer la communication comme un moyen d'aller plus loin ensemble, de partager quelque chose pour avancer, progresser ensemble. En ce qui concerne plus particulièrement la production d'une émission en classe, j'ai eu récemment une discussion avec des enseignants et une conseillère pédagogique et nous avons été amenés à considérer la place que pouvait prendre cette activité dans la vie de la classe. Il est sorti de cette discussion que la notion de projet était importante. Bien sûr, il y a d'autres occasions dans une classe de fédérer les enfants autour d'un projet. Mais, avec la radio, la dimension est peut - être un peu différente. En effet, chaque enfant va avoir une tâche et chacun aura contribué d'une façon ou une autre au produit fini et diffusé. Cette réalisation va ensuite être mise à l'écoute de gens que les enfants peuvent connaître, ou non! Il s'agit donc que tout le monde accepte les contraintes, essaie de faire de son mieux pour respecter le travail des autres, et respecter une production de tous où chaque enfant ne sera pas forcément reconnu comme individu. L'enfant tient une place, à un rôle à jouer pour que l'entreprise réussisse et en même temps il n'est pas nécessairement identifié ensuite. Je trouve que cette dimension peut participer à une prise de conscience citoyenne: on peut essayer de caractériser le processus qui peut avoir lieu: "j'accepte de donner ma contribution à une production globale, je fais attention de ne pas en entraver la réalisation et je suis reconnu comme "la classe de... " et non pas moi - même"

Il est certain que cela dépend de l'âge des enfants et aussi de l'implication qu'ils ont été capables de soutenir. Qu'est - ce que cela implique pour l'enfant? Je suis allée à l'issue de ces préoccupations réactivées voir des élèves et je leur ai demandé de me parler de la radio, de ce que cela leur apportait. J'ai été surprise par la clarté de leur réponse: " Quand on écoute les émissions des autres, on apprend plein de choses et c'est bien parce que c'est d'autres enfants qui parlent, on sait un peu ce qui se passe dans d'autres classes, (.... ) et quand on fait une émission, on pense qu'elle va intéresser les autres, qu'elle va leur plaire." (propos recueillis auprès d'élèves de cycle 3) En résumé, il y a deux aspects de socialisation voire de civisme: dans la classe, par rapport au respect du travail fourni par tout le monde, et de l'intérêt porté par les enfants à un travail produit par d'autres enfants que finalement ils ne connaissent pas. Dans les entretiens 2,3,4 et 5, les enseignants insistent sur "l'ouverture de la classe sur le monde" : "c'est une ouverture sur l'extérieur." (2) "pour qu'ils (les enfants) se rendent compte qu'il y a d'autres enfants, d'autres classes, qui travaillent sur des sujets différents, ou (...) sur les mêmes sujets qu'eux mais différemment." (3) "Cela me permet (... ) de montrer aux enfants que le travail d'autres enfants qu'ils ne connaissent pas est intéressant. " (4) "on sort de la classe sans se déplacer. " (4) "C'est un moyen de savoir ce qui se passe ailleurs, dans d'autres écoles, ils s'aperçoivent que dans d'autres écoles ils ont bossé sur la même chose que nous" (5) Les émissions permettent ainsi de "décentrer" les enfants, de créer des moments où l'enfant est amené à prendre en compte d'autres enfants, à ouvrir son horizon. Il me semble aussi intéressant de mentionner un aspect qui renforce la cohésion du groupe classe: la création d'une émission obligent pour ce projet en tout cas les enfants à établir ensemble des critères, à harmoniser leur point de vue et à s'intégrer dans le projet collectif. La satisfaction évidente qui apparaît le jour J de la diffusion de l'émission est aussi un moment important pour le groupe.

b) l'aspect de la communication. (l'enseignant est embarrassé pour répondre, hésite.. )

C'est l'aspect "outil de communication" qui me semble intéressant, c'est une occasion d'émettre et d'écouter" (entretien 2) Il me paraît intéressant de préciser un peu deux aspects de la communication qui semblent émerger:

- d'une part la communication au sein de la classe. Les émissions sont vues comme un support de communication (les enfants débattent, discutent autour de l'émission écoutée).

- d'autre part la communication en direction des auditeurs. Les producteurs lancent dans le paysage des ondes un message en direction d'auditeurs sans aucune maîtrise de la réception. Seule l'émission du lundi permet un retour, un échange, mais différé. "on partage quelque chose, dans la mesure où l'on crée, on écoute, on est entré dans un système, dans un jeu, , on fait des émissions donc on écoute les autres. C'est une interaction, ça fait partie de la communication. " (entretien 5). c'est dans l'interaction entre l'écoute et la production que la communication est intéressante pour ces enseignantes.

C'est cet aspect de la communication qui ici est retenu comme important.

c) Le travail de la langue orale.

"Pour profiter d'une structure existante, pour travailler la langue orale, car je pense qu'il faut savoir s'exprimer correctement avant de pouvoir écrire correctement. On donne souvent une trop grande place à l'écrit dans la classe et je pense que c'est un tort. " (entretien 1) Pour cet enseignant, cette activité permet de donner une place et une dimension particulière à l'oral, au langage. Le travail de l'oral pour la radio donne une exigence de qualité qui est permise par le support de l'écrit et la pratique de la lecture oralisée en ce qui concerne la création d'émission.

Le travail d'expression plus spontanée et de débats sont permis lors de l'écoute des émissions. Cette affirmation m'est récemment revenue en mémoire lors de la présentation de la Charte de l'école du XXIème siècle faite parle Ministre de L'Éducation Nationale à savoir que le recentrage des programmes prévoit une place privilégiée à l'apprentissage de la langue orale, considérée comme préalable à tout apprentissage. Penser qu'il y a antériorité de l'oral est une hypothèse psychopédagogique qui détermine des choix pédagogiques. J'ai pu remarquer que les enseignants interrogés multiplient les moments de parole dans la classe, et que leur choix de s'impliquer dans le réseau de radio participe d'une orientation pédagogique plus globale: "Mais s'il n'y a pas d'autres moments de parole, le fait de faire des émissions n'aura pas de réelle efficacité" (entretien 1. ) "Cette activité entre dans la logique d'une globalité de plusieurs moments de parole dans la classe. Elle est en liaison avec les autres moments de parole. Ce n'est qu'un outil, pas une fin en soi!" (entretien 2) J'en tire comme commentaire que l'oral apparaît comme un aspect important des pratiques de classe et que la radio fait partie d'une logique, d'un parti - pris de donner à la parole une place privilégiée.

d) La radio comme outil.

Elle est vue comme outil de diffusion, de communication et surtout de valorisation du travail des enfants. "c'est un côté un peu vitrine, c'est une mise en valeur du travail des enfants" (entretien 1). "on ne fait jamais une émission pour elle - même. Ce n'est qu'un outil, pas une fin en soi!" (entretien 2). Ce que semblent retenir ces enseignants, ce n'est pas la pratique de la radio en elle - même mais ce qu'elle permet au regard des activités de la classe et des compétences qu'on doit développer.

Les motivations des enseignants se tournent plutôt vers l'aspect "support" de l'émission, qui prend son intérêt dans la façon spécifique de mettre en valeur les productions des enfants. "- on travaille sur un sujet et on va jusqu'au bout pour en donner un produit fini. Ça oblige à un moment à recentrer, à finir. Il y a deux approches possibles, ou on fait une émission crée pour elle - même, où on reprend un travail qui a été fait dans la classe et on le transforme en émission, moi je privilégie la seconde. " (entretien 5). - avec les maternelles, on fait un résumé de ce qui est fait en classe." (entretien 5)

Il y a bien un travail particulier, dit de "recentrage". les enseignantes conçoivent les émissions comme un moyen, voire une occasion de faire un travail sur la forme, sur l'allure de la production faite par les enfants. Il y a donc deux aspects "outil" considérés par les enseignants : - dans la mise en valeur d'activités faites dans la classe, conçues pour l'occasion ou non. - comme transformation d'un travail avec focalisation sur le contour, la façade de ce qui est composé.

e) l'écoute.

"C'est pour apprendre à écouter autre chose qu'une cassette, qu'un disque.... diversifier l'écoute. " ( entretien 5) Les enseignantes interrogées dans l'entretien 5 reviennent plusieurs fois sur l'écoute mise en jeu, cela semble un point fort de cette activité pour elles: "La pratique de l'écoute amène une espèce d'exigence au moment où on se retrouve devant le micro, ils se rendent compte eux - mêmes, ils se corrigent eux - mêmes, ils savent que si ils font du bruit avec une chaise, il faudra recommencer. Les autres font des commentaires, donnent des conseils: "approche toi du micro, ne bouge pas ta chaise, t'as bégayé, on ne te comprend pas... il faut que tu recommences... 3 à force d'écouter les autres, justement, ils ont vu les défauts. c'est très positif. Ils sont impitoyables quand ils écoutent une émission quand on entend un gamin qui lit, ou qui articule mal, ils repèrent bien les défauts et après ils s'appliquent ces critiques. Il faut que cela tende vers une certaine perfection. Il y a des gamins très rigoureux qui n'hésitent pas à reprendre les autres. On devrait utiliser le magnétophone plus souvent, parce que quand on se réécoute, on peut mieux voir ses problèmes. " (entretien 5) Elles pensent que la dimension réciproque écoute - production est un point fort de cette activité dans la mesure où elle permet une autorégulation de la part des enfants, c'est une situation où c'est l'enfant qui construit ses repères de qualité de l'expression.

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