Vygotski et la zone proximale de développement:

Lev Semenovitch Vygotski n’a été traduit et lu que très tard en France, c’est à dire dans les années 80, alors qu’il a travaillé dans les années 1920-1930 en URSS. Professeur à l’institut de psychologie de Moscou, il s’est consacré à l’étude du développement des fonctions mentales supérieures. Vue la brièveté de sa carrière scientifique et du retard avec lequel son oeuvre fut connue en dehors de l’Union soviétique (son ouvrage principal fut traduit seulement en 1956 sous le titre Language and Thought), son influence est surtout posthume. En effet, dès 1936, toutes ses oeuvres sont retirées de la circulation. Leur redécouverte se fera en deux étapes : la première débute donc en 1956, avec la réédition de pensée et langage, traduite en anglais en 1962. La seconde est donc plus récente et date des années 80.

Pour Vygotski, l’activité humaine ne saurait se réduire à un agencement de réflexes ou de conduites adaptatives ; elle implique une composante de transformation du milieu à travers laquelle le sujet se transforme lui-même. Le système de signes, au premier rang desquels le langage, sont définis par lui comme des instruments psychologiques qui, à la différence des outils matériels, n’ont pas pour fonction la transformation de la nature, mais l’action de l’homme sur lui-même et sur autrui. Et ceci nous interpelle fortement quant aux activités de discussion que nous avons proposé de mettre en oeuvre auprès d’enfants.

L’apport majeur de Vygotski réside dans la conception qu’il propose du rôle du langage dans le développement mental. La part du langage dit égocentrique, langage ayant une fonction non-communicative puisque constitué de monologues accompagnant l’action, est très grande chez l’enfant de cinq ou six ans, comme l’avait remarqué Jean Piaget. Toutefois, alors que, selon ce dernier, un tel type de langage disparaît pour faire place à un langage socialisé à fonction communicative, Vygotski pense qu’il se maintient, mais en s’intériorisant. Alors, il devient un instrument très important dans la régulation de l’activité : il oriente cette dernière et permet d’accéder à un mode de régulation de type intentionnel. Ceci est représenté selon Vygotski (1974, 1980) par un passage du social à l’individuel, du fonctionnement inter-personnel à celui intra-psychologique. L’enfant, à travers ses interactions sociales, apprend à utiliser ce système de signification qu’est le langage : d’abord extérieur, puis égocentrique, enfin intérieur, le langage remplirait une fonction d’instrument de la pensée; le langage modifie la pensée, mais est modifié par elle. Schneuwly et Bronckart, dans leur ouvrage Vygotski aujourd’hui, (1985, p 64) rapportent: " le développement de la pensée est déterminé par le langage, c’est-à-dire par les outils langagiers de l’intelligence et par l’expérience socio-culturelle de l’enfant ".

Et en cela, Vygotski s’oppose radicalement à Piaget, qui déclare, comme nous l’avons vu plus haut, que le langage et la pensée égocentriques représentent une étape vers la décentration et le langage socialisé.

Le langage, d’abord moyen de communication de l’enfant avec ceux qui l’entourent, devient, en se transformant en langage intérieur, un mode de pensée fondamental de l’enfant. Nous pensons donc, comme Clothilde Pontecorvo le souligne dans son article publié dans l’European Journal of Psychologie of Education, que la discussion des élèves entre eux peut être considérée, à la Vygotski, comme une situation de contrôle social et de prise de conscience collective des raisonnements.

Les interactions avec ses pairs, avec l’adulte, activent le développement mental de l’enfant et " c’est là ce qui fait l’importance de l’apprentissage pour le développement et c’est là aussi précisément le contenu du concept de zone de proche développement (zona blizhaishego razvitiya). " (Vygotski, 1984, p.272-273.) Les acquisitions de l’enfant dépendent non seulement de son niveau déjà atteint mais aussi du guidage, de l’étayage amené par autrui par l’apport d’une aide instrumentale.